À l’école, on en voit de toutes les couleurs. Tous ces jeunes gens regroupés toute la journée, ça fait parfois des feux d’artifices. On est vite dans l’émotionnel. Dans le poème Voyelles d’Arthur Rimbaud, la lettre i est associée à la couleur rouge. J’ai rencontré un élève i qui voyait rouge. Insultant, agressif envers ses camarades, s’énervant rapidement, s’indignant pour des choses insignifiantes, irrespectueux avec les enseignant-e-s. Quand i voit rouge, il quitte la classe sans rien demander, et tout le monde se sent soulagé. Il va faire un tour pour se calmer, mais je reste inquiet au fond de moi. J’ignore d’où peut venir toute cette colère, quel parcours de vie a pu connaître cet enfant. J’essaie de prendre i comme il est, d’être à l’écoute, de l’embarquer dans le même bateau que les autres, mais c’est difficile. Il y a beaucoup de chemin à faire. i finit par revenir silencieusement dans la classe. Il se met spontanément au travail sans suivre aucune consigne. Il est calme en apparence mais semble bouillonner de l’intérieur. Il prend une grande feuille de papier, un gros pinceau et beaucoup de peinture en tube. Visiblement, il a besoin d’exprimer quelque chose. Dans un mélange de haine contenue et de gestes apaisants, il étale des pâtés de couleurs noires et rouges. On sent qu’il vaut mieux ne pas le déranger. Puis la sonnerie retentit et tout le monde fuit. Je me retrouve face à cette peinture abstraite et dégoulinante que je trouve d’une profondeur et d’une noirceur inouïe. C’est une sorte d’anti-Rothko, une violence à peine voilée, l’inexprimable qui affleure. Quelque chose s’est passé.

 

 

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