Dans une école de plus en plus hétérogène, les questions identitaires reviennent souvent sur le tapis. Une maitresse de classe demande si l’on ne pourrait pas fabriquer des fourres pour les agendas, et plusieurs élèves choisissent de les décorer aux couleurs de leurs pays. De fil en aiguille, j’apprends à reconnaître le drapeau du Kosovo, de la Syrie, du Togo. Cela me donne l’idée de créer une séquence d’enseignement autour des drapeaux, manière d’aborder des questions identitaires de manière bienveillante et inclusive. C’est aussi l’occasion de faire le lien avec une de mes pratiques en dehors de l’école, puisqu’en 2017, j’ai co-fondé MÂT, un espace d’art dans l’espace public au bord du lac de Neuchâtel qui consiste en un mât de 12 mètres de haut sur lequel des artistes sont invités à intervenir. En hissant toutes sortes de drapeaux, manches à air et autres objets à suspendre, les artistes utilisent le mât pour revendiquer des micros-territoires artistiques temporaires, rectangles d’utopie dans le ciel gris. Les élèves seraient-ils eux aussi capables d’inventer des drapeaux porteurs de nouveaux messages ? C’est en tout cas le défi que je me et leur lance, et pour lequel j’ai conçu la séquence d’enseignement suivante :

 

Amorce : quizz

J’aime bien commencer par un petit quizz. Je leur montre des drapeaux connus et moins connus et leur demande de les identifier. Par exemple le drapeau de la commune dans laquelle se situe l’établissement, le drapeau de la Zambie, ou le drapeau Iroquois. Quand on ne connaît pas un drapeau, y-a-t-il des signes qui nous aident à deviner ce qu’il peut représenter ? Existe-t-il des familles de drapeaux ? Des tendances selon les continents ?

 

Phase 1 : drapeaux du monde

Sur une feuille, les élèves doivent dessiner les drapeaux qu’ils connaissent de mémoire, sans exemple. « C’est trop facile Monsieur, j’en connais trop ! – Ah oui, vraiment ? » En faisant on se rend compte que l’exercice n’est pas si facile. Dans quel ordre vont les trois couleurs du drapeau de l’Italie, de l’Allemagne, des Pays-Bas ? A quoi peuvent bien ressembler les symboles qui figurent sur le drapeau de l’Espagne, du Portugal, du Mexique ? Comment étaient les drapeaux que je viens de montrer en exemple ? Même si tout n’est pas parfait, ce n’est pas grave, on essaie, et on corrigera après si besoin.

 

 

Phase 2 : les éléments constitutifs d’un drapeau : formes, couleurs, symboles

Une fois que les élèves ont esquissé une dizaine de drapeaux, on met les résultats en commun. Quels sont les drapeaux qui ressortent le plus ? Quels sont les drapeaux qu’ils-elles ne connaissent pas ? Quels sont les drapeaux qui se ressemblent ? Quels sont les drapeaux qui sortent du lot ? Y-a-t-il des drapeaux apatrides, c’est-à-dire qui représentent une autre entité qu’un territoire, comme le drapeau des jeux olympique ou de la croix rouge ?

Finalement, on observe que les drapeaux s’élabore selon un répertoire de couleurs et de formes relativement limité : bandes verticales ou horizontales, croix, beaucoup de bleu, de rouge, de jaune, mais plus rarement du vert ou de l’orange, et quasiment jamais de violet ou de rose. Parfois un symbole complète la composition : étoile, croissant de lune, globe terrestre, cèdre, aigle, lion, dragon. Certains drapeaux font écho à d’autres, ou sont quasiment identiques alors qu’ils représentent deux pays très éloignés.

 

 

🇦🇮🇧🇲🇰🇾🇨🇰🇫🇰🇫🇯🇲🇸🇳🇺🇹🇨🇹🇻🇲🇸🇬🇸🇵🇳🇳🇿🇦🇺

On observe que le drapeau du Royaume-Uni figure en petit sur plusieurs drapeaux à travers le monde : Australie, Fidji, Nouvelle-Zélande, Tuvalu… Il s’agit d’anciennes colonies britanniques.

 

Finalement, on constate que les drapeaux varient selon trois facteurs principaux : les formes, les couleurs et les symboles.

 

Phase 3 : drapeaux de territoires individuels

Sur une feuille divisée en six rectangles, je demande aux élèves de créer des drapeaux pour représenter les différentes sphères dans lesquelles ils-elles évoluent : imaginer un drapeau pour la classe, pour son club de sport, pour son groupe d’amis… Qu’est-ce qui pourrait bien me représenter ? Est-ce que ces différentes facettes de notre identité se recoupent ou s’excluent ? Est-ce que je m’identifie plus à mon quartier, ma ville, mon pays ? Comment composer avec une bi-nationalité ?

Les élèves doivent composer avec ces trois axes : les formes tracées, les couleurs choisies, et les symboles convoqués. On peut donner plus de contraintes pour pousser les élèves à élaborer : par exemple, chaque drapeau doit présenter au moins trois couleurs et un symbole.

 

 

Phase 4 : drapeaux personnels ou collectifs

Maintenant que les élèves sont devenus des experts en drapeaux, il est temps de se lancer dans le projet final. Seul ou en petit groupe, il s’agit de créer un drapeau de son choix en s’inspirant de tout ce qui a été précédemment développé. Le collage se prête bien à cette phase. On pourrait aussi faire des drapeaux avec de la peinture sur tissu et les suspendre quelque part.

 

 

Au final, les drapeaux partent dans de multiples directions. Certains s’éloignent du projet de départ, et le drapeau devient support à autre chose.

 

 

 

 

Dans vidéo-performance, l’artiste d’origine péruvienne Jorge Raka s’accroche au rêve américain qui se déforme sous son poids avant une chute inévitable.

 

 

Références:

– les drapeaux du monde expliqués aux enfants, Sylvie Bednar, 2008

– les 24 portes-drapeaux du pont du Mont-Blanc à Genève accueillent régulièrement des interventions artistiques

 

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